Ce camp d’internement et de déportation est devenu, en 2012, un haut-lieu de Mémoire et d’Histoire au service de l’Éducation citoyenne et de la Culture. Sa visite marque profondément car, au-delà des rappels historiques, des parallèles avec l’époque contemporaine mettent en garde contre un retour toujours possible, de périodes aussi dramatiques et contre l’engrenage des violences.

A la sortie d’Aix-en-Provence, vous pouvez découvrir le seul grand camp français d’internement et de déportation encore intact et accessible au public. Le camp des des Milles aurait été rasé sans la vigilance de l’AURA (Agence d’Urbanisme et de Programmation de la Région Aixoise), d’un sous-préfet d’Aix et de la détermination de Résistants déportés. Il a été inauguré en septembre 2012 après soixante-dix ans d’oubli.

Entre 1939 et 1942, cette usine désaffectée avait servi de lieu d’internement d’étrangers de 38 nationalités. Beaucoup de ces prisonniers étaient d’authentiques artistes et amis de la France, souvent traités d’artistes dégénérés par le régime hitlérien. Tous internés au Camp des Milles comme « sujets ennemis » !

Dans la première période (septembre 1939 – juin 1940), même si l’enfermement est douloureusement ressenti, les gardiens français du camp sont assez débonnaires et les artistes peuvent s’exprimer. Les murs sont remplis de nombreux témoignages. Il en sera bien entendu tout autrement après 1940… Il deviendra une antichambre d’Auschwitz avec la déportation de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants juifs dans le cadre de la Shoah.

Comprendre les processus individuels conduisant à ces crimes

S’appuyant sur l’histoire du lieu, un volet est destiné à renforcer la vigilance, l’éducation et la responsabilité de chacun, face aux racismes, à l’antisémitisme et à tous les fanatismes. Tout un travail historique et mémoriel a été réalisé, au travers de la Shoah et des crimes génocidaires commis contre les Arméniens, les Tsiganes et les Tutsis, ainsi que sur les résistances à ces crimes. En tirant parti des acquis scientifiques, cela a permis de comprendre les processus individuels et collectifs qui peuvent conduire à ces crimes, mais aussi les capacités qui permettent de s’y opposer. Ce volet éducatif fournit des clés de compréhension sur les mécanismes et les différentes étapes qui peuvent conduire du racisme au génocide. Ils sont très documentés et bien expliqués.

D’un terreau sociétal latent avec ses tensions et ses peurs, ses opinions et intérêts divergents peuvent naître, en période de crise, des processus dangereux pouvant conduire à des horreurs inhumaines selon plusieurs étapes. Le racisme et les conflits ethniques ou religieux sont souvent présents dans ce terreau.

La première étape s’enclenche lors de crises sociales, économiques ou morales entraînant la peur de l’avenir, une perte de repères, des crispations identitaires et des démagogies agressives. Alors des groupes s’organisent pour répandre les idées et la violence racistes en désignant un bouc émissaire.

La deuxième étape est franchie lorsque la minorité agissante accède au pouvoir. Elle s’appuie sur la perte de repères pour attaquer et ébranler les institutions : crises non maîtrisées, désordres intensifiés, violences incontrôlables. Le régime restreint alors les libertés. Les contre-pouvoirs (justice, médias, ONG…) sont d’abord dénoncés puis limités ou supprimés. Le régime devient autoritaire voire totalitaire. Le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie sont des outils faciles et puissants quand la violence devient un instrument d’état. Mais le pouvoir même élu devient illégitime car ne respectant pas les fondements démocratiques.

Avec la troisième et dernière étape on assiste à l’exclusion systématique des groupes cibles, à l’extension des persécutions et à la généralisation du crime au-delà du groupe « bouc émissaire » initial. Un régime de terreur se met en place s’appuyant sur des milices tolérées et instrumentalisées. Tout le monde se retrouve menacé par l’arbitraire et la délation.

Ce travail remarquable aboutit à un esprit de concorde : chacun peut réagir, chacun peut résister, chacun à sa manière

Pour preuve de son efficacité, le réseau scientifique international créé par la Fondation du Camp des Milles et l’Université d’Aix-Marseille a été reconnu comme « Chaire Unesco » en 2013. Cela apparaît comme la suite logique de la coopération renforcée mise en œuvre au moyen d’une convention entre la Fondation du Camp des Milles et Éducation et Aix-Marseille université.

N° 686 – Novembre 2023 – Planète PAIX – Alain Grangé

Article extrait de la revue Planète Paix, N° 686 de novembre 2023.
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