Faire que le rameau soit plus fort que le glaive
Une première approche essentielle sur les questions que se pose tout pacifiste confronté aux drames des guerres actuelles. Analyser les agressions, les terrorismes et lutter contre eux en sortant de l’incantation passent par la compréhension de la complexité de leurs racines et leurs finalités : c’est le vrai choix de la Paix.
Dans un monde où le capitalisme, « qui porte en lui la guerre », est hégémonique et dans lequel des puissances impérialistes se confrontent, la guerre est une réalité et la paix une utopie. Un pacifiste combat la guerre et la violence étatique, refuse l’emploi des armes et veut sauvegarder la paix. Cela affirmé, les positions des pacifistes peuvent différer et souvent profondément. Les guerres d’Ukraine et de Gaza le démontrent avec une intensité particulière, un(e) pacifiste, comme toute femme et tout homme, est un être social. Il a des principes moraux, des idées politiques, des convictions idéologiques, une vue de l’Histoire, une connaissance ou pas des raisons impérialistes, économiques, identitaires, religieuses qui sont cause des guerres, il peut avoir des liens ou des sympathies avec l’une des parties, il est plus ou moins aliéné par le discours du pouvoir et celui médiatique et il a sa subjectivité. S’en suivent les divergences qui se manifestent aujourd’hui entre pacifistes.
Reconnaître cette infinie complexité des êtres et des situations ne signifie pas que toutes les positions sont équivalentes, il n’y a jamais une seule vérité, mais toutes les opinions ne sont pas vérités. Il y a des agresseurs et des agressés, il y a des peuples soumis à l’ordre colonial, il y a des populations réprimées par la violence étatique. Un pacifisme absolu rejette l’usage de la violence, même pour défendre ses idées, c’est suivre le précepte de l’évangile de Matthieu pour qui « face à une humiliation, il faut
tendre l’autre joue ». Mais, refus de la soumission et de l’avilissement, le mouvement Umkhonto we Sizwee, pour combattre l’apartheid, fondé par Nelson Mandela, prix Nobel de la Paix, avait pour mot d’ordre « œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie ». Rester sans rien faire est-il possible ?
La guerre d’Ukraine et celle de Gaza confrontent les pacifistes au drame de peuples traversés depuis des siècles par des déchirures de l’Histoire et à deux volets de la violence : la guerre impérialiste et la guerre de libération, le terrorisme d’État et le terrorisme de guérilla. Essayons ici une approche, évidemment sommaire, brutale, de ces questions.
L’Ukraine un acte d’agression ?
L’Assemblée générale de l’ONU a, le 14 décembre 1974, après vingt ans de débats, sous la pression de pays européens et sud-américains, contre les réserves des pays anglo-saxons, défini ainsi l’agression : « l’agression est l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État ». Au sens de la déclaration de l’ONU, la Russie a agressé l’Ukraine et cela est à condamner.
Mais toute guerre s’inscrit dans un cours historique et l’agression de l’Ukraine est précédée d’une agression économique et d’une agression idéologique contre la Russie. Agression économique : dans les années 1990, alors que l’Union soviétique s’est liquéfiée et que Gorbatchev fait toutes les concessions pour que la Russie puisse entrer dans ce qu’il dénomme la « Maison Europe », l’appartenance de la Russie à l’Europe lui est refusée. Plus encore, elle est soumise à une guerre économique et, entre 1989 et 1998, le PIB de la Russie chute de 55%, 50% de la population passe sous le seuil de pauvreté, le taux de mortalité augmente de plus de 30% et, entre 1988 et 1995, l’espérance de vie passe de 69,5 ans à 64,5 ans, cinq ans de perte d’espérance de vie en sept ans ! La guerre économique peut être aussi mortifère qu’une guerre armée.
À l’agression économique s’ajoute l’agression idéologique avec l’OTAN qui a franchi la ligne rouge fixée par les Accords pour la réunification de l’Allemagne et va s’étendre jusqu’aux frontières de la Russie. C’est cette double agression, économique et idéologique, ressentie comme une humiliation et une menace, qui a conduit à la guerre d’Ukraine. Le fait que la Russie soit l’agresseur ne disculpe pas, sauf à choisir un impérialisme contre un autre impérialisme, les puissances occidentales de leurs responsabilités dans la guerre d’Ukraine.
La guerre d’Ukraine est aussi une guerre entre la Russie et l’OTAN, ce qui a suscité une dérive même chez les pacifistes. L’Ukraine subit une agression, mais appeler à l’envoi d’armes, c’est oublier que les peuples n’ont pas d’armes, c’est légitimer l’envoi d’armes pas son impérialisme qui n’a nul besoin de cette légitimation pour fournir en armes l’Ukraine et Israël. La recherche de la paix exige négociations et compromis, l’envoi d’armes, c’est le choix de la guerre.
Palestine un acte terroriste ?
Il n’existe pas de définition juridique du « terrorisme ». Mais, le droit international humanitaire, considère comme des actes « terroristes » les actions menées dans le but de semer la terreur lorsqu’elles sont commises en temps de paix. Le droit humanitaire introduit aussi la notion de perfidie quand l’action est menée en ne portant pas ouvertement son arme et sans un équipement avec un signe distinctif reconnaissable à distance indiquant que l’on est un combattant. Au vu du droit international humanitaire, l’action du Hamas du 7 octobre pose une première question. Pour être qualifiée de terroriste, a-t-elle été menée en temps de paix ou en temps de guerre ? En admettant que le 7 octobre il y eut à Gaza une situation de colonisation et d’apartheid, mais pas de guerre formellement déclarée, l’opération du Hamas ayant « visé à semer la terreur » et « l’action n’ayant pas été menée ouvertement », il s’agit, au sens des Conventions de Genève, d’un acte terroriste.
Mais la déclaration de l’ONU du 14 décembre 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux déclare : « Reconnaissant le désir passionné de liberté de tous les peuples dépendants et le rôle décisif de ces peuples dans leur accession à l’indépendance », à cette fin « Il sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu’elles soient, dirigée contre les peuples dépendants ». Il n’est pas mis fin à la répression du peuple palestinien, sa lutte est donc juste au sens de l’ONU.
Concernant l’accusation de « perfidie » du fait de mener une opération sans signes distinctifs et en ne portant pas ouvertement son arme. Le Hamas, comme tous les mouvements de libération, vu l’inégalité des forces, mène avec les moyens dont il dispose, une guerre de guérilla. À l’exemple de Larbi ben M’Hidi, lors de la guerre d’Algérie, qui aux militaires l’interrogeant : « Ne trouvez-vous pas lâche d’utiliser des couteaux et des couffins bourrés d’explosifs pour commettre des attentats ? » répondit : « Donnez-nous vos chars et vos avions et nous vous donnerons nos couteaux et nos couffins ».
L’action du Hamas sur le territoire d’Israël est un acte terroriste au sens du droit international, mais il est aussi un acte de résistance qui fait suite à soixante-quinze ans de colonisation, d’exodes, de tueries, de spoliations, jusqu’à un génocide, dont Israël est responsable. La recherche de la paix exige négociations et compromis, refuser une Palestine indépendante, c’est le choix de la guerre.
Réduire la question des guerres d’Ukraine et de Gaza à une agression russe et à un acte terroriste du Hamas, c’est refuser la complexité de chaque situation, c’est adopter et s’aligner sur les positions de son impérialisme. Être pacifiste, c’est combattre tous les impérialismes dont les peuples sont les instruments et les victimes. Pour que la paix soit une réalité, ce n’est pas une question de bons sentiments, mais un sujet idéologique et politique, c’est connaître la complexité des racines et finalités des conflits, sortir de l’incantation. Dans un monde traversé par des intérêts géopolitiques et économiques capitalistes mondialisés, déchiré par des droits des peuples déniés, où les ambitions des grandes puissances se confrontent avec le risque d’un basculement dans une troisième guerre mondiale, le pacifisme c’est penser et agir pour que le rameau devienne plus fort que le glaive.
Dossier : PACIFISME ET VIOLENCE
N° 692 – Mai 2024 – Planète Paix – Nils Andersson